Décès d'Henry ALLEG, l'Algérien de cœur et de combat, l'homme
debout nous a quitté ...
Articles : Le Monde - Michel Colon (Investig'Action) - Bahar Kimyongür.
Articles : Le Monde - Michel Colon (Investig'Action) - Bahar Kimyongür.
Henri
Alleg, auteur de "La Question", est mort
Connu sous le nom
d'Henri Alleg,
qu'il avait pris lors de son passage dans la clandestinité pendant la guerre d'Algérie, Harry Salem est
mort le 17 juillet à Paris trois jours avant son quatre-vingt-douzième
anniversaire. Dans son livre LaQuestion qui
reste un document majeur sur la torture, il avait témoigné sur les sévices
qu'il avait subis, en 1957, entre les mains des parachutistes français.
Il faut imaginer la
scène : Alleg recroquevillé contre le mur, à moitié groggy. Le para a fait
le "boulot" :
gégène, étouffement par l'eau, brûlures... L'équipe des
"spécialistes" lui a balancé une rafale de grossièretés : "On te niquera la gueule " ;
de menaces : "On va faire parler
ta femme", "Tes
enfants arrivent de Paris". Il répond calmement : "Vous pouvez revenir avec
votre magnéto [générateur d'électricité], je vous attends : je n'ai pas peur de
vous."
On est en juin 1957, à El Biar, un quartier
d'Alger, dans un immeuble désaffecté transformé en centre de
torture. La guerre d'Algérie bat son plein d'horreurs. Moins on la nomme par
son nom – il faudra attendre 1999
pour cela – plus la sauvagerie se donne libre cours et déborde parfois d'un
camp sur l'autre.
DIRECTEUR D'"ALGER
RÉPUBLICAIN"
La réplique lancée au soldat devenu bourreau n'est
pas une bravade. Journaliste depuis 1950, Alleg connaît son Algérie où depuis
longtemps, selon les mœurs coloniales, on torture dans les commissariats et les
gendarmeries jusqu'à de petits délinquants qui ne veulent pas "avouer". A l'automne
1955, un an après le déclenchement de l'insurrection le 1er novembre 1954,
il plonge dans la clandestinité quand le quotidien Alger républicain, dont il est
le directeur, est interdit et le Parti communiste algérien
(PCA), dont il est membre, dissous.
Le 12 juin 1957, les parachutistes l'attendent au
domicile de Maurice Audin.
Celui-ci, jeune assistant en mathématiques, lui aussi militant du PCA, a été
arrêté. Il mourra le 21 juin, sous la torture. Le scandale de sa "disparition" aura
vraisemblablement sauvé du pire son camarade.
Rien, hormis un mental d'acier qui apparaîtra au
fil des épreuves, ne prédisposait Henri Alleg à devenir un
héros, un mot qui n'était pas dans son vocabulaire. Parmi les nombreux ouvrages
qu'il a écrits, deux sont de nature très différente mais se complètent
admirablement : La Question (Editions
de Minuit, 1958), le plus connu, et Mémoire
algérienne, plus récent (Stock 2005). Le premier est un récit
circonstancié écrit à la prison Barberousse
d'Alger, où il a été transféré après son"séjour" à El Biar en juin 1957.
INTERDIT, AUSSITÔT RÉÉDITÉ
Léo Matarasso, son avocat, lui a suggéré de raconter ce
qu'il a vécu aux mains des parachutistes : "Fais ce que les autres, le plus souvent analphabètes, ne
peuvent faire." Les
petits bouts de papiers sortent au compte-gouttes, Gilberte l'épouse, à Paris,
les tape à la machine. Jérôme Lindon, qui dirige les Editions de
Minuit, publie l'ouvrage en février 1958. La Question fait l'effet
d'une bombe : soixante mille exemplaires vendus en quelques semaines. Le
non-dit qui, en dépit des premières révélations, continuait de régner sur la
torture, vole en éclats.
La sortie a été précédée d'une plainte au procureur
de la République dont l'Humanité publiera
le texte – aussitôt censuré. La presse, Libération de
l'époque,Le Monde, L'Express, France-Observateur, Témoignage chrétien, s'émeuvent
également. L'ouvrage interdit dès le mois de mars, quatre grands écrivains
s'adressent, en vain, au président René Coty : Malraux, Martin du Gard,
Mauriac, Sartre. Il est réédité, en Suisse, avec une postface de Sartre.
Voir nos entretiens
avec Henri Alleg sur la torture en Algérie et, en Edition abonnés, notre
Dossier d'archives Février
1958 : Henri Alleg publie "La Question"
CROISEMENT DES CULTURES
Né le 20 juillet 1921 à Londres, de parents juifs
russo-polonais, Alleg est un melting-pot à lui tout seul : britannique par sa
naissance, il sera français par choix quand sa famille s'installe
au nord de Paris, puis algérien par adoption après l'indépendance de 1962. L 'envie de bourlinguer le
saisit en 1939 au moment où débute la seconde guerre mondiale. Il songe à
l'Amérique mais débarque à Alger. Coup de foudre. Il ne quittera plus ce pays.
Son peuple, s'il en faut un, sera le peuple
algérien, celui du cireur de chaussures qui l'appelait "rougi" pour ses
taches de rousseur. Le moindre geste de fraternité humaine fait fondre ce
petit bonhomme aux yeux rieurs, qui raconte des histoires à n'en plus finir :
juives ? arabes ? anglaises ? parisiennes ? Ce croisement des origines et des
cultures, hors de toute domination de classe et de "race", c'est très
exactement l'idée qu'il se fait de l'Algérie et au nom de laquelle il honnit le
colonialisme.
DANS LE CAMBOUIS DE L'HISTOIRE
Alger républicain en est le
porte-drapeau, ne serait-ce que par deux signatures qui jalonnent son histoire
: Albert Camus,
le pied-noir, qui veut des Français égaux des deux côtés de la Méditerranée
mais ratera la marche suivante, celle de la décolonisation ; Kateb Yacine,
le Berbère, qui cultive une Algérie indépendante, multiethnique,
multiculturelle, politiquement pluraliste. Cet idéal, Alleg n'hésite pas à le
défendre contre l'hégémonisme du FLN quand celui-ci accapare le pouvoir,
avec Ben Bella,
en juillet 1962. Une nouvelle interdiction d'Alger
républicain en 1965, sous Boumediene, provoque son départ pour
la France.
Il signera, en 2000, l 'Appel des
douze "pour la
reconnaissance par l'Etat français de la torture", aux côtés
de Germaine Tillion,
d'une idéologie pourtant sensiblement différente, parce que le texte indique
bien que "la torture est
fille de la colonisation". Jusqu'au bout, il avait poursuivi
sa recherche éperdue d'un monde d'hommes libres, égaux, et associés – qu'il
identifiait au communisme.
Refusant de "céder
du terrain à l'adversaire", il était resté longtemps, en dépit
de tout, solidaire des pays socialistes. En désaccord sur ce plan avec le Parti
communiste français, il n'avait pas aimé non plus les "dérives social-démocrates"qui,
à ses yeux, dénaturaient le marxisme. Endurci par son combat, Henri Alleg avait
mis les mains dans le cambouis de l'histoire. D'autres se flatteront d'avoir les
mains pures. Mais, pour reprendre une
formule de Péguy, on peut se demanders'ils
ont jamais eu des mains...
Charles
Silvestre, ancien rédacteur en chef de L'Humanité, coordinateur de
l'Appel des douze contre la torture.
NOTRE HENRI EST MORT DEBOUT
Henri Alleg, notre Henri, s’est éteint à jamais
Homme
libre, militant communiste, chantre de la fraternité, journaliste intègre,
héros ordinaire de cette Algérie et de cette France qui fredonnent en nous,
Henri est toujours resté fidèle à ses principes et ses idéaux durant ses près
de 70 années d’engagement politique, malgré la prison, la torture, la trahison
et les défaites.
22 JUILLET 2013
Résistant il fut, résistant il
demeurera même aux pires moments de sa vie : en tant que militant
clandestin dans l’Algérie occupée, lorsqu’il subit les interrogatoires
terribles de ses tortionnaires français, durant les querelles intestines qui
déchirèrent l’Algérie indépendante, durant la contre-révolution qui déferla sur
les pays socialistes...
Comme nombre de ses camarades qui ont
écrit les pages à la fois douloureuses et honorables de la résistance
anti-coloniale, Henri a été un monument de générosité, de bienveillance et
d’humilité.
Par un jour morose de décembre, j’ai eu
l’immense honneur de visiter le cimetière du Père Lachaise en sa précieuse
compagnie, bras dessus, bras dessous.
A cette occasion, il m’a confié de nombreux souvenirs de
ses combats et autant de récits de notre histoire commune, tel un grand-père à
son petit-fils.
Aujourd’hui et demain, ses petits-enfants, par millions,
poursuivront la rédaction de son journal éternellement inachevé, celui de
l’humanité en quête de paix, de justice et de bonheur.
Merci Henri. Nous ne t’oublierons jamais.
Bahar Kimyongür
22 juillet 2013
Voici le message qu’Henri Alleg a fait
parvenir à Bahar Kimyongür quelques jours avant sa condamnation politique en
2006.
A l’attention de Bahar Kimyongür
« Que vous dire à propos du procès qui
vous a été intenté et dont on attend la délibération et les conclusions le 28
février prochain sinon que j’en suis effaré et indigné ! Il me rappelle la
sinistre époque de la guerre d’Algérie où, en France, les partisans de la paix
et de la liberté des peuples, les défenseurs des Droits de l’Homme et de la simple
liberté d’expression étaient traînés devant les tribunaux au nom de la lutte
contre le "terrorisme", une expression qui servait déjà à justifier
toutes les illégalités commises contre des hommes et des femmes dont le crime
était d’affirmer leur attachement aux grandes idées de démocratie et de réelle
liberté, de dénoncer courageusement la torture et les sévices couramment
pratiqués comme c’est aujourd’hui le cas en Turquie.
En fait, dans un pays et une Europe qui
n’hésitent pas à se présenter aux yeux du monde comme les champions de ces
grands principes, ce que l’on vous reproche à vous et vos amis, c’est de vous
battre pour que ces principes inscrits dans les lois soient effectivement
respectés. J’avoue que j’ai du mal à penser que les juges en vous condamnant
pourraient se rendre coupables d’un tel déni de justice, ce qui aboutirait à
donner de la Belgique une image contraire à ses meilleures traditions d’équité,
d’hospitalité et de tolérance, couvrant finalement, pour d’injustifiables
raisons politiques, les crimes et les pratiques médiévales d’un état policier
étranger.
Je ne peux pas croire que le tribunal
en arrivera là. Au contraire, je veux espérer, avec de nombreux amis, membres
d’organisations attachées à la défense des droits de l’Homme, d’universitaires,
d’élus de Belgique et d’autres pays dont la France et l’Italie qui vous connaissent et vous
estiment pour votre courageux engagement, que le tribunal décidera de votre
relaxe. C’est ce que nous sommes des milliers à demander et ce ne sera là que
justice véritable.
Croyez, cher ami, à ma totale
solidarité dans le juste combat que vous menez. » Henri Alleg
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Henri Alleg, ce
héros tout simple
Extrait du Investig'Action
Date de mise en ligne : samedi 20
juillet 2013
Auteur(s) : Michel Collon
J'apprends avec tristesse la mort
de mon ami Henri Alleg, à l'âge de 91 ans. Un grand résistant dans tous les
sens du terme.
Juif d'origine russo-polonaise, installé en
Algérie en 1939, il milite pour la libération de ce pays. Directeur du quotidien
Alger républicain, il est arrêté en juin 57 et torturé par les forces
d'occupation française, commandées par le général Massu. Il décrira ces
tortures dans son livre La Question, immédiatement interdit par la France , et réédité en
Suisse.
Extraits :
« Jacquet, toujours souriant, agita d'abord devant mes yeux les pinces
qui terminaient les électrodes. Des petites pinces d'acier brillant, allongées
et dentelées. Des pinces « crocodiles », disent les ouvriers des lignes
téléphoniques qui les utilisent. Il m'en fixa une au lobe de l'oreille droite,
l'autre au doigt du même côté… Brusquement, je sentis comme la morsure sauvage
d'une bête qui m'aurait arraché la chair par saccades. Toujours souriant au-dessus
de moi, Jacquet m'avait branché la pince au sexe. Les secousses qui
m'ébranlaient étaient si fortes que les lanières qui me tenaient une cheville
se détachèrent. On arrêta pour les rattacher et on continua … »
Il y a maintenant plus de trois
mois que j'ai été arrêté. J'ai côtoyé, durant ce temps, tant de douleurs et
tant d'humiliations que je n'oserais plus parler encore de ces journées et de
ces nuits de supplices si je ne savais que cela peut être utile, que faire
connaître la vérité c'est aussi une manière d'aider au cessez-le-feu et à la
paix. Des nuits entières, durant un mois, j'ai entendu hurler des hommes que
l'on torturait, et leurs cris résonnent pour toujours dans ma mémoire.
"Alors, il ne veut pas parler ? dit l'un
des civils. -On a tout le temps, dit le commandant, ils sont tous comme ça au début
: on mettra un mois, deux mois ou trois mois mais il parlera. -C'est le même genre
que Akkache ou Eyette Loup, repris l'autre. Ce qu'il veut : c'est être un
"héros", avoir une petite plaque sur un mur dans quelques centaines d'années."
Ils rirent à sa plaisanterie. C'est un des livres qui a marqué mon engagement
militant. Tout jeune, j'ai été en contact avec des Belges et des
Français qui avaient aidé le FLN,
le mouvement de libération algérien en lui servant de base arrière (on les
appelait les « porteurs de valise »). C'est ainsi que je fus amené à lire La
Question. Une lecture indispensable
pour comprendre jusqu'où peut aller la « démocratie occidentale » et aussi pour s'imprégner de son courage de
vrai résistant.
Au moment où certains aiment à présenter
Jean-Marie Le Pen comme un « résistant au système » qui « aurait des couilles »,
la pensée qui me vient est que c'est précisément à cet endroit que la torture
était pratiquée par Le Pen et ses collègues criminels. Il ne s'en est jamais
excusé, continuant à manifester son arrogance de colonialiste répugnant. Un tel
homme ou sa fille ne sauraient incarner aucune résistance ! Juste de la
démagogie manipulatrice pour amener les gens dans l'impasse du colonialisme et
de l'extrême droite. Un programme qui est le contraire de la fraternité, en
continuant le mépris et le racisme.
Le vrai résistant, c'était Henri, et tous
ceux, Algériens ou Français, qui se sont battus comme lui pour que l'Algérie soit
libre ! Jusqu'aux derniers moments de sa
longue vie, il n'a cessé de lutter contre le système J'ai eu le plaisir de rencontrer Henri à plusieurs
reprises, notamment en donnant avec lui des conférences ou des Auteur(s) :
Michel Collon Page 2/3Henri Alleg, ce héros tout simple formations pour jeunes.
Il m'a marqué par sa forte conscience et sa capacité d'analyse politiques
lucide. Mais aussi par sa gentillesse et sa simplicité.
Un héros tout simple. Ne se vantant jamais.
Considérant ce qu'il avait réalisé comme tout à fait normal. J'ai eu avec lui
quelques conversations très riches qui m'ont fortement aidé à comprendre le
colonialisme.
Merci, Henri, nous essayerons de porter
dignement ton message de résistance et de fraternité !
Deux brèves vidéos d'Henri
Alleg :
Le récit de son arrestation :
http://www.babelio.com/livres /
[http://www.babelio.com/livres/Alleg-La-question/9836#citations]Alleg-La-question/9836#citations
[http://www.babelio.com/livres/Alleg-La-question/9836#citations]Alleg-La-question/9836#citations
"La torture était
généralisée et tout le monde savait"
http://www.lesmutins.org/
[http://www.lesmutins.org/Henri-Alleg-videos]Henri-Alleg-videos
Source : Investig'Action michelcollon.info
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